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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

D’ailleurs, les commotions mêmes qui venaient soit de transformer notre état social, soit de bouleverser l’Europe, favorisèrent cette renaissance. « Ce sont, dit l’auteur des Récits mérovingiens, ce sont les événements jusque-là inouïs des cinquante dernières années qui nous ont appris à comprendre les révolutions du moyen âge, à voir le fond des choses sous la lettre des chroniques. » Et ailleurs : « Il n’est personne parmi nous, hommes du xixe siècle, qui n’en sache plus que Velly ou Mably, plus que Voltaire lui-même, sur les rébellions et les conquêtes, le démembrement des empires, la chute et la restauration des dynasties, les révolutions démocratiques et les réactions en sens contraire. »

Entre tous les historiens qui ont illustré notre siècle, Augustin Thierry se rattache le plus directement au romantisme. Il est romantique par sa conception même de l’histoire, par le goût qu’il y porte du mouvement et du pittoresque, par son culte pour le passé, jusque par son admiration pieuse des monuments gothiques, encore si méprisés. Dès le début de ses études, il s’attache à effacer de son esprit tout ce qu’il a appris dans les livres modernes, et il « entre pour ainsi dire en rébellion contre ses maîtres ». C’est le romantisme historique qui s’insurge contre les formules de convention et le style uniformément pompeux de l’histoire classique. Les deux écrivains qui eurent le plus d’influence sur lui sont justement deux grands romantiques : Chateaubriand et Walter Scott. Il s’est représenté lui-même dans cette salle voûtée du collège de Blois, où il achevait alors ses classes, lisant à son pupitre, ou plutôt « dévorant les pages des Martyrs », éprouvant d’abord un charme vague et comme un éblouissement d’imagination, puis sentant peu à peu s’écrouler en lui toute son archéologie du moyen âge, saisi de plus en plus vivement à mesure que se déroule sous ses yeux le tableau de l’armée barbare « où l’on ne distinguait qu’une forêt de framées, des peaux de bêtes et des corps demi-nus », quittant enfin sa place,