Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
L’HISTOIRE.

historien qui recompose le vivant tableau des anciens âges. À vrai dire, le xviiie siècle n’est guère plus sensible que les précédents aux diversités profondes et multiples qu’introduisent la race, le temps, le milieu, dans la vie individuelle ou collective. Il ramène instinctivement les faits, les mœurs et les personnages des temps passés à ceux du temps actuel : Sésostris lui apparaît comme un Louis XIV, Solon comme un Turgot. Le père Rapin veut que l’historien aille « chercher le vrai dans le fond des cœurs ». Quand l’histoire n’est pas la science toute sèche des faits et des dates, elle est un art de moraliste élégant et disert.

Il y avait d’ailleurs une incompatibilité naturelle entre le despotisme et la vérité historique. Au xviie siècle, Mézerai se vit réduire sa pension pour avoir inconsidérément parlé des impôts, et le grand roi ne pouvait lui pardonner de peindre Louis XI sous les traits d’un tyran. Le duc de Bourgogne, demandant un jour à l’abbé de Choisy comment il s’y prendrait pour dire que Charles VI était fou : « Monseigneur, je dirai qu’il était fou », répondit l’abbé, et il aimait à citer cette réponse comme le plus beau trait de sa vie. Au xviiie siècle, l’abbé de Saint-Pierre fut expulsé de l’Académie française, Fréret mis à la Bastille. Comment les historiens eussent-ils eu quelque liberté ? Les poètes tragiques eux-mêmes n’abordaient l’histoire qu’en tremblant. Crébillon ayant commencé un Cromwell où il peignait en traits énergiques l’aversion des Anglais pour les Stuarts, reçut dépense de continuer cette dangereuse tragédie. Au despotisme monarchique succéda plus tard le despotisme jacobin, puis celui de l’Empire. On a de Napoléon Ier une note impérieuse où, pour mieux « s’assurer de l’esprit dans lequel écriront les continuateurs de Velly », il leur trace d’avance le plan qu’ils devront suivre. La monarchie absolue avait eu ses historiographes, mais il ne pouvait y avoir d’historiens sans liberté politique.

Après la chute de l’Empire, l’inauguration d’un régime libéral favorisa le réveil des études historiques, vers lesquelles le romantisme naissant avait déjà poussé les esprits.