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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

dans les mœurs, dans le costume, dans les passions contemporaines, dans tout ce qui peut la faire paraître à nos yeux avec toute la fraîcheur et l’animation de la vie. Il ferait de l’art en même temps que de la science ; il serait dramatique à l’aide de matériaux fournis par une étude directe et sincère.

La méthode que conseillait Augustin Thierry, il fut le premier à la mettre en pratique. Ce qu’il veut dans la Conquête de l’Angleterre, c’est composer une sorte d’épopée où tout soit d’accord avec la vérité historique la plus scrupuleuse. Au mouvement épique des historiens grecs et romains il allie la couleur naïve des légendaires et la sévère raison des historiens modernes. Il s’est fait un style grave sans emphase oratoire, simple sans affectation d’archéologie. Il peint les hommes d’autrefois avec la physionomie de leur temps, mais en parlant lui-même la langue du sien. Il multiplie les détails jusqu’à épuiser les textes originaux, mais sans éparpiller le récit et briser l’unité d’ensemble. Il répudie et la forme philosophique du xviiie siècle, et la forme littéraire du xviie : ni dissertations hors de l’œuvre pour peindre les différentes époques, ni portraits détachés pour représenter les différents personnages. Avec lui, les hommes et les siècles eux-mêmes entrent en scène dans le récit. Il ne croit pas qu’un historien puisse d’abord bien raconter sans peindre et ensuite bien peindre sans raconter. Il peint tout en racontant, et sa narration même est une peinture.

Dans les Récits mérovingiens, ce qui l’a tenté, c’est de mettre en œuvre les faits locaux et les traits de mœurs que fournissait Grégoire de Tours. D’autres s’étaient déjà approprié le fond des choses ; mais Augustin Thierry se préoccupe surtout de la forme, qu’il veut rendre plus nette et plus vivante. Les Récits mérovingiens sont une suite de tableaux. Manière de vivre des rois franks, existence orageuse des seigneurs et des évêques, intrigante turbulence des Gallo-Romains et brutale indiscipline des barbares, sorte de retour à la nature et insurrection des volontés