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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

sous Louis XIV, une histoire magistrale où l’art double la valeur dos documents qu’il met en œuvre. Élu secrétaire perpétuel par l’Académie des sciences morales, il trouve un nouvel emploi de son talent dans les éloges des académiciens. Il élève ces notices à la hauteur de l’histoire ; il « rattache les événements publics à des biographies particulières », il « montre le mouvement général des idées dans les œuvres de ceux, qui ont contribué à leur développement ».

Les ouvrages proprement historiques qu’il composa dans la seconde moitié de sa carrière marquent une phase nouvelle. Aux précis élégants et sagaces, mais un peu serrés dans leur forte et sobre continuité, aux travaux où les documents alternent avec les récits, qui doivent soit en remplir les intervalles, soit en éclaircir le sens, succèdent des compositions historiques de large ordonnance et d’ample développement dans lesquelles l’auteur s’assimile toute la substance des textes sans interrompre sa narration pour nous les montrer. Mignet y unit l’intérêt dramatique du récit à la hauteur des vues et à la portée des jugements ; il concilie le talent de raconter les faits avec l’aptitude à en dégager les lois. Tout en restant idéaliste de méthode comme il l’était naturellement d’esprit, il maintient l’histoire sur son terrain solide, il se prémunit contre le danger de l’idéalisme transcendant en choisissant toujours ses grands sujets non dans le domaine de la théorie, mais dans celui de la réalité concrète et vivante.

On lui a reproché d’être fataliste. C’est là l’écueil de l’histoire philosophique, portée par son esprit même à enchaîner les faits avec tant de rigueur qu’ils semblent s’engendrer fatalement les uns les autres. Les premiers ouvrages de Mignet, notamment son Histoire de la Révolution, donnaient prise à cette critique. Lui-même disait : « Ce sont moins les hommes qui ont mené les choses que les choses qui ont mené les hommes. » Mais il n’en réservait pas moins à la volonté humaine une part qu’il fit de plus en plus grande. Sa philosophie générale consiste justement dans une conciliation du libre arbitre avec « l’action des