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L’HISTOIRE.

sâtre. Il n’a, comme écrivain, pas plus que dans sa conception de l’histoire, ni le goût ni l’intelligence des formes extérieures. Mais, si Guizot n’est rien moins qu’un artiste, nous retrouvons dans son style toutes les qualités du philosophe, une puissante rectitude, une élévation sans défaillance, une imposante autorité. C’est le style d’un calviniste et d’un doctrinaire, d’un historien qui a toujours fait prévaloir la théorie sur les faits, et assujetti le mouvant spectacle des phénomènes particuliers à l’austère fixité des lois générales par lesquelles il prétend en rendre compte.

Mignet est de la même école que Guizot. À ses yeux, l’histoire procède « moins par des récits qui plaisent ou par des peintures qui émeuvent que par des recherches approfondies qui pénètrent les causes cachées des événements au moyen de considérations qui en font saisir l’enchaînement et la portée ». Dès son premier grand ouvrage, se révèle la maturité précoce d’un esprit tourné vers ce que l’histoire offre de plus substantiel à la raison. Il prend tout d’abord pour sujet une époque presque contemporaine, notre Révolution, si confuse déjà par elle-même, si grosse encore d’orages, et dont il était à craindre que les rancunes toujours vivaces, les fanatismes toujours menaçants, ne troublassent encore la vue du jeune historien. Le premier, il débrouille cette mêlée obscure, il organise ce chaos. L’Histoire de la Révolution révèle déjà ses qualités caractéristiques, et surtout l’art d’éclairer les faits en les groupant, d’en tirer les hautes leçons qu’ils renferment, d’en condenser le sens en formules décisives. On trouve plus de couleur et de chaleur chez d’autres historiens, mais chez aucun plus de clarté.

Les Négociations relatives à la succession d’Espagne n’eussent été en d’autres mains qu’un recueil de papiers inédits. Cet esprit amoureux d’ordre, et qui a la faculté d’« embrasser les vastes ensembles », fait avec des pièces d’archives, en les reliant les unes aux autres par de lumineux exposés, le plus grand monument de la politique française