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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

tés ethniques ou climatériques qui modifient l’esprit humain. Ils ne saisissent ni les influences sociales qui marquent toute œuvre d’art de leur empreinte, ni les conditions individuelles qui expliquent l’auteur par l’homme. Les « anciens » ne défendent pas Homère comme le représentant d’une civilisation primitive qu’il a peinte dans la naïveté de ses mœurs : ils s’évertuent à montrer que la diction homérique est toujours noble. Quant aux modernes, c’est par le même contresens historique qu’ils reprochent au poète grec ses « grossièretés » rebutantes. De quoi l’accusent-ils au fond ? De ne pas connaître l’élégance de mœurs et la politesse de langage qui règnent à la cour de Louis XIV. Anciens et modernes sont impuissants à sortir de leur siècle : il leur manque, aux uns comme aux autres, l’intelligence et le sentiment de l’histoire. Les uns empruntent tous leurs arguments à la critique de goût et de diction ; la grande raison des autres, c’est que la nature est toujours la même, comme s’ils pouvaient détacher l’œuvre littéraire du sol sur lequel elle est née, en couper les racines, n’y voir que le produit d’une force abstraite dont aucune contingence ne diversifie les effets.

Le classicisme ne connaît et ne veut connaître que lui-même. Il fait commencer notre poésie à Malherbe et notre prose à Balzac. Il a en aversion tout ce qui n’est pas conforme à son idéal de noble harmonie et de raison éloquente. Il considère comme manquement au goût tout ce qui choque son goût particulier, il traite d’inconvenant tout ce qui n’agrée pas à ses propres convenances. Ne lui demandez point de regarder autour de lui : il n’y trouverait que désordre et irrégularité choquante. C’est aux autres littératures d’imiter la sienne. Il les ignore, il en fuit la dangereuse contagion. Il se suffit à lui-même, et ses chefs-d’œuvre sont là qui brillent pour tout le monde.

C’est seulement vers le début de notre siècle, sous l’influence du romantisme naissant, que la critique fut renouvelée. Elle s’ouvrit à l’histoire, accueillit les rapprochements et les comparaisons, se fit large, tolérante, sympathique à