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LA CRITIQUE.

toute tentative qui pût rajeunir notre littérature épuisée. Pendant que les praticiens officiels de l’époque impériale se cantonnaient dans les étroites formules d’un classicisme toujours plus borné, les deux grands écrivains qui président à la renaissance littéraire ouvraient dès lors une voie toute nouvelle, soit en substituant à la mesquine application des règles le sentiment généreux et la libérale intelligence d’une beauté qui peut revêtir les aspects les plus divers, soit en considérant la littérature non plus seulement dans sa forme extérieure, mais aussi dans ses relations avec l’état social dont elle est l’image.

Si Chateaubriand vivifia la critique par sa sensibilité d’imagination, Mme de Staël, par son esprit actif, ouvert, indépendant, en recula de toute part les étroites limites. L’auteur de la Littérature fut, nous l’avons dit, la véritable initiatrice de notre méthode historique et comparative. Ce qu’elle veut montrer dans cet ouvrage, c’est « le rapport qui existe entre l’art et les institutions sociales de chaque siècle et de chaque pays », et elle ajoute avec raison que « le travail n’a encore été fait dans aucun livre connu ». Il eût fallu, pour remplir un aussi vaste programme, des études plus étendues et plus fortes ; mais ce programme même n’en était pas moins le cadre d’une science toute nouvelle. Et si, dans ce premier ouvrage, Mme de Staël éclairait la critique par l’histoire, son Allemagne, ouvrant jour sur une littérature toute différente de la nôtre, étendit ainsi le champ des comparaisons et acclimata le génie français à des beautés de pensée et de sentiment que le goût classique n’avait pas connues et n’eût jamais admises.

Le premier ouvrage de critique proprement dite qui, pour emprunter un mot à Mme de Staël elle-même, « ait pris vivement la couleur d’un nouveau siècle », c’est celui que Barante publia en 1809. Tandis que les successeurs de la Harpe ressassaient les règles traditionnelles et se confinaient dans un vétilleux et stérile regrattage de mots, Barante suivit hardiment la voie qu’avait tracée l’auteur de la Littérature. Il substitua aux disputes de rhétorique et de gram-