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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

même à démêler les nuances délicates de la pensée ou du sentiment : il fait des études littéraires un instrument de connaissance historique, ou, pour mieux dire, il les élève à la dignité de science sociale. Il met en lumière l’action de l’écrivain sur les mœurs et des mœurs sur l’écrivain ; il encadre l’œuvre dans la biographie de l’auteur, il explique l’auteur lui-même par les influences du milieu. Son plus important ouvrage est justement consacré à ce xviiie siècle dans lequel « l’esprit des lettres a fait partie de l’esprit du monde et l’a à la fois reproduit et excité ». Il nous y montre soit « l’action de quelque homme de génie », soit « le mouvement de la société même se confondant avec le caractère général de la littérature et la riche diversité des talents de second ordre ». En étudiant les œuvres littéraires, il nous fait suivre, chez les peuples qu’unit entre eux un perpétuel commerce d’idées, le développement simultané des civilisations nationales, dont les courants particuliers, après s’être croisés en tous sens, finissent par s’unir dans l’évolution universelle du genre humain. Sans exprimer formellement sa théorie générale, il en poursuit l’application avec une unité de vues que nous retrouvons, à travers les jeux et les apparents caprices, dans la disposition même des matières et dans cette abondance de comparaisons qui nous font voir, non seulement les littératures, mais encore les sociétés elles-mêmes, en permanente réciprocité d’influence. L’histoire littéraire est pour lui l’histoire de la civilisation universelle. « Que reste-t-il des orateurs anglais ? » lui demandait Fontanes. Et Villemain, qui devait bientôt leur consacrer de si belles pages : « Ce qu’il reste ? répondit-il. L’Amérique. »

Il portait aussi dans la critique nouvelle ce qui manquait aux représentants les plus autorisés du classicisme, je veux dire la connaissance approfondie et délicate des lettres antiques ou modernes.

Jusqu’à notre temps, l’antiquité était restée peu connue ou mal comprise. Boileau, quand il abordait les chefs-d’œuvre grecs, se montrait complètement dépourvu de sens