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LA CRITIQUE.

historique et poétique ; Racine lui-même, avec toute la souplesse de son esprit et toute la finesse de son goût, voyait les anciens sous le costume de son époque et à travers les sentiments de l’âme moderne. Quant à Voltaire, la Henriade et Œdipe montrent assez ce qui lui manquait pour saisir Homère et Sophocle. Après les maîtres de notre poésie, que dire de critiques tels que la Harpe ? C’est en français que l’auteur de Philoctète a lu les écrivains grecs, et l’on sait comment le xviiie siècle les habillait. À peine sait-il le latin ; il traduit Suétone, mais cette traduction même accuse son ignorance. Et la manière de la Harpe est d’autant plus autoritaire et décisive qu’elle s’embarrasse moins d’étude et de savoir.

Chez Villemain, la critique se renouvelle par la science de l’antiquité classique. Il possède le latin à fond. Il a le goût et le sens des plus exquises délicatesses que puisse offrir la langue, et il entretient avec les auteurs un commerce quotidien. Le grec ne lui est pas moins familier ; il l’a pratiqué dès l’enfance ; au lieu de défigurer, ainsi que la Harpe, le Philoctète de Sophocle, il le jouait dans le texte. Plus tard, il traduisit avec un sentiment tout nouveau du génie hellénique ce Pindare que le xviiie siècle, par la bouche de Voltaire, appelait le chantre des cochers grecs et des combats à coups de poing. Avec lui l’intelligence pénétrante et lumineuse du génie ancien, éclairant pour la première fois et vivifiant notre critique, succède aux dédains d’une ignorance tranchante ou aux complaisances d’une banale admiration.

À sa pratique de l’antiquité gréco-latine, Villemain joint non seulement celle de l’antiquité chrétienne, qu’il a étudiée aux sources mêmes, et celle du moyen âge, dont les savants contemporains découvrent les monuments sous ses yeux toujours aux aguets, mais encore celle des littératures étrangères, sans laquelle la critique est nécessairement incomplète. Il ignore l’allemand ; cet esprit si net et si vif salue de loin « les dieux de la Germanie », et ne se met pas en peine de « les suivre dans les énigmes de leurs