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LE CLASSICISME.

n’est pas plus un Grec que Porus n’est un Indien ; Andromaque sent et parle comme une princesse du xviie siècle ; Phèdre a les remords d’une chrétienne.

La critique littéraire, toute dogmatique, ne cherche point l’homme sous l’auteur ; elle examine l’œuvre en elle-même pour la comparer à certains principes rationnels, du haut desquels elle la juge ; elle ne se préoccupe ni de conditions ni de dépendances ; elle est une sorte de géométrie. L’histoire efface la couleur des vieux âges ; elle écarte les détails caractéristiques qui datent et localisent ; elle s’abstrait des circonstances, du milieu, du costume ; elle représente Clovis comme un prototype de Louis XIV ; elle dépouille, autant que possible, les événements et les hommes de leur caractère particulier et individuel. Les « contingences » ne sont pas dignes d’occuper de purs esprits ; ils n’ont aucune curiosité pour les faits, aucun intérêt pour les sciences qui en font leur étude. Ils sont voués uniquement aux idées ; dédaignant tout ce qui est variable et accidentel, ils cherchent à atteindre le vrai dans sa généralité constante. Ils ont l’abstraction pour méthode et l’idéalisation pour principe.

Soit dans l’ordre social, soit dans l’art et dans la poésie, le xviie siècle croit avoir tout fixé. Le catholicisme unit les esprits dans une même foi, qui se repose avec sécurité sur les dogmes établis ; il n’a pas assez d’influence pour provoquer en eux une activité personnelle et spontanée. En politique, après l’ère des guerres civiles, s’est close celle des discussions brûlantes sur les principes du gouvernement et de la société. La royauté a ses dogmes aussi bien que la religion. L’histoire de France semble s’être, de tout temps, assigné pour aboutissement final et suprême cette monarchie à laquelle travaillaient déjà Clovis, Philippe Auguste, saint Louis, et dont leur héritier, Louis XIV, a pour jamais achevé le grandiose édifice. Les aspirations confuses de la démocratie ont été jadis étouffées avec la Ligue ; la défaite de la Fronde en a fini avec les revendications prématurées de la bourgeoisie parlementaire et les velléités rétrospectives de la noblesse : la première se con-