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LA CRITIQUE.

le tyran qui dans son palais avait trente chambres, sans qu’on sût jamais dans laquelle il coucherait ». Ne poursuivons pas plus loin ce parallèle pédantesque : tandis que le premier construit un système, le second fait une collection d’expériences détachées et d’observations éparses.

Bien des traits par lesquels Sainte-Beuve s’oppose à Nisard dénotent ses affinités avec Villemain. Mais, si Villemain peut être considéré comme le devancier de Sainte-Beuve, il est facile de voir ce que la critique littéraire a gagné avec celui-ci en réalité, en précision, en exactitude aiguisée. Elle ne se contente pas « d’une certaine description générale d’un siècle ». Elle « serre de plus prés que possible l’analyse des caractères d’auteurs aussi bien que celle des productions ». Elle sort définitivement « d’une admiration trop textuelle à la fois et trop abstraite ». Elle « fait le siège » des écrivains. Elle profite d’une liberté que ne restreint aucun parti pris, non pas pour flotter autour d’une époque en se bornant à reproduire les contours les plus apparents, mais pour multiplier avec une pleine indépendance et diversifier en dehors de toute thèse préconçue ces études des « sujets » et des « cas » individuels dont chacune est un problème de psychologie.

Il y a eu chez Sainte-Beuve un poète et un critique. Le critique, que nous avons indiqué chez le poète, n’est pas moins visible chez l’auteur de Volupté, ce roman dénué de vigueur créatrice et dont l’intérêt pénétrant consiste tout entier dans la subtile minutie des analyses. Il a survécu au poète en tenant de lui maints dons qu’il ne laissa pas périr. « La critique dans la jeunesse, dit-il lui-même, se recèle sous l’art, sous la poésie ; ou, si elle veut aller seule, la poésie, l’exaltation, s’y mêle trop souvent et la trouble. Ce n’est que lorsque la poésie s’est un peu dissipée et éclaircie que le second plan se démasque véritablement et que l’analyse se glisse, s’infiltre de toutes parts et sous toutes les formes dans le talent. » Mais « le critique hérite finalement en nous de nos autres qualités plus superbes ou plus naïves ». La vocation poétique de Sainte-Beuve n’expira