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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

jamais tout entière dans l’occupation de sa vie : elle s’appliqua en dessous à l’histoire littéraire, elle l’« arrosa par des sources secrètes » ; elle se fit jour à travers l’analyse, non « par un sentimentalisme intérieur et par des élancements hors de propos », mais « par une certaine forme d’art, par une certaine lumière vive et juste d’expression ». L’expérience des hommes et des choses mitigea « l’esprit de poésie » et ne l’étouffa point. « Si critique et si rassis que nous devenions, écrivait-il dix ans après avoir renoncé aux vers, qu’il ne nous soit jamais interdit de nous écrier avec le poète :

Me juvat in prima coluisse Helicona juventa. »


Et plus tard encore, lorsque la flamme s’est éteinte, lorsque l’émotion et l’enthousiasme cèdent définitivement la place à la « physiologie », lui-même attribue à cet esprit poétique sa faculté spéciale de découvrir et d’exprimer dans les choses leur sens propre, et de « rendre à tout ce qu’il touche la qualité propre et la vraie valeur ».

« Ce que j’ai voulu en critique, dit Sainte-Beuve, ç’a été d’y introduire une sorte de charme et en même temps plus de réalité qu’on n’en mettait auparavant. » Si ce charme consiste justement dans une poésie modérée et discrète, l’impression de réalité plus accusée procède du goût pour les sciences positives que Joseph Delorme associait à celui des vers, et qui perce jusque dans ses élégies en attendant de l’entraîner vers l’analyse des œuvres littéraires considérées comme un instrument de physiologie morale. La première éducation de Sainte-Beuve avait été purement scientifique. « J’ai commencé franchement et crûment par le xviiie siècle le plus avancé. » Et, à quelque essai que son esprit curieux se prête dans la suite, ou même par quelques métamorphoses qu’il passe, c’est dans cette éducation première qu’on doit chercher « son fond véritable ». « Sous notre plume, dit-il en 1836, la critique d’un écrivain risque de devenir une légère dissection. »