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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

gination contre l’analyse, et, moins de cinquante ans après cette révolte éclatante, l’analyse, armée de méthodes plus exactes et d’instruments plus précis, ruinait le glorieux idéal que le sentiment et l’imagination s’étaient construit par delà le monde des faits. Il avait conçu l’art comme une inspiration du cœur, comme un songe ailé de la fantaisie, comme une magie d’évocation symbolique, et voilà que les générations nouvelles le réduisent à n’être plus que l’anatomie sèche et froide de la réalité, une collection de faits, un magasin de documents.

Vainqueur du classicisme, qui domine notre littérature pendant plus de deux cents ans, le romantisme fournit une carrière d’un demi-siècle à peine. Comment s’explique une chute si prompte après un si éclatant triomphe ?

L’art classique avait fleuri au sein d’une société fortement assise où chacun s’établissait sans trouble dans des croyances communes à tous. Les deux siècles qu’il dure sont une période d’universelle sécurité, pendant laquelle il se développe régulièrement en un parfait accord avec l’ordre établi. À cette saison paisible et clémente dont aucune intempérie ne trouble la sérénité, comparons l’époque de notre histoire qui commence avec la Révolution. Depuis la terrible crise d’où elle est sortie, notre société cherche de secousse en secousse un équilibre qu’elle n’a pas encore trouvé, aucune autorité supérieure qui unisse les âmes au sein d’une même foi. Chacun a sa théorie du gouvernement, sa métaphysique, sa révélation personnelle. Partout l’anarchie intellectuelle et morale. Les idées ne se rapprochent que pour se heurter. Tout principe fixe a sombré dans le naufrage de l’ancien ordre social. Les dynasties durent de quinze à vingt ans, les systèmes philosophiques un peu moins que les dynasties. Notre siècle n’a pas plus de teneur que d’unité Les traditions d’autrefois ont à jamais péri, et le mouvant terrain que la mêlée des esprits fait à chaque instant trembler ne peut offrir un établissement solide à des traditions nouvelles.

Quand la société tout entière est ébranlée jusqu’en ses