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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

une sorte de transport, un accès de fièvre, un paroxysme maladif de la sensibilité. Comme tant de héros qu’il mit en scène, lui-même était destiné à mourir jeune. Les ardeurs de sa passion le dévorèrent bien vite, et, quand l’âme humaine, toute recrue d’une course effrénée vers l’idéal, éprouva le besoin de prendre terre, de sentir sous elle un sol ferme et résistant, il se produisit une réaction provoquée par le goût de la réalité positive, qui, passant des sciences dans l’art, devait inaugurer pour l’histoire littéraire de notre siècle une période toute nouvelle.

Le romantisme, qui prit d’abord la vérité pour mot d’ordre, avait-il failli à ses promesses ? Tant de noms illustres, tant de chels-d’œuvre dans tous les genres répondent suffisamment. Non seulement il abolit les conventions surannées et les règles factices, mais il régénéra la langue, féconda la poésie, ranima l’histoire, vivifia le théâtre, rajeunit enfin la critique. Les cinquante ans de son règne doivent compter comme une des plus glorieuses époques de notre littérature : suivant l’expression d’un critique dont le témoignage ne saurait être suspect, ils sont plus de la moitié d’un grand siècle. Mais cette vérité à laquelle les novateurs avaient prétendu revenir, ils la cherchèrent en eux-mêmes et non dans les objets. Ce fut pour eux une vérité purement « subjective », non point acquise par l’observation désintéressée et impersonnelle des phénomènes, mais inspirée par je ne sais quelle vertu divinatrice qui est le fond même du romantisme. Trop passionnés pour exprimer autre chose que leurs passions, ils ne peignirent pas le cœur humain, ils chantèrent les élancements de leur propre cœur, leurs rêves grandioses, leur besoin d’aimer et de croire, leurs vagues aspirations vers le bonheur, les fantaisies de leur cerveau troublé. Ils substituèrent des conceptions intuitives à l’étude de la réaîité. Enivrés de leur idéal, ils perdirent la conscience du monde sensible. En philosophie, en politique, en littérature, ils affichaient un mépris superbe des faits : les faits prirent leur revanche.

Le réalisme triomphant du romantisme, c’est le triomphe