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L’ÉVOLUTION RÉALISTE.

de la science sur l’imagination et le sentiment. La science n’avait pas complètement échappé à la contagion romantique. Elle crut non seulement imposer ses formules à tous les phénomènes naturels, mais encore atteindre jusqu’aux racines extrêmes de l’être. La chimie et la physiologie entrevoyaient déjà le jour où l’homme, ayant enfin pénétré le mystère de l’existence objective, deviendrait réellement le maître de la matière pour la pétrir et la façonner à son gré. Mais, si la science elle-même eut son heure de vertige, ce ne fut qu’après de prodigieuses découvertes, bien propres à éblouir l’esprit humain, et ces découvertes, les instruments en avaient été le calcul et l’analyse. Si elle se laissa un moment séduire par des ambitions décevantes, elle ne fut jamais tentée d’abandonner, pour les réaliser plus tôt, cette pratique expérimentale à laquelle était dû son merveilleux progrès. L’imagination des savants put se prendre à d’illusoires perspectives ; mais la méthode scientifique maintenait leur activité sur le terrain solide des phénomènes. Ils revinrent d’ailleurs bien vite de leur ivresse, et, sans renoncer aux légitimes visées de la science, écartèrent des anticipations chimériques, ou plutôt bannirent de leur esprit l’idée même des mystères inaccessibles à ses instruments. Dans la dernière partie du siècle, toute surexcitation romantique est tombée. La science ne poursuit pas l’énigme de l’être en soi, mais s’attache à prendre de la nature une notion toujours plus exacte et plus complète. Son ambition la plus haute est de ramener les faits complexes et particuliers à d’autres faits généraux et simples, sans même se demander si, par delà cette analyse qui s’élève des faits aux lois, une analyse plus haute ne peut pas remonter des lois à une formule suprême sous laquelle nous apparaîtrait l’unité logique de l’univers.

L’évolution réaliste à laquelle préside l’esprit scientifique transforme la philosophie en la tirant des spéculations généreuses, mais trop souvent stériles, pour l’attacher à l’étude précise des phénomènes. Ou bien la philosophie s’interdit de rechercher les causes, qu’elle considère comme