Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
269
L’ÉVOLUTION RÉALISTE.

empruntent tous les éléments de leur œuvre à la vie réelle Leur esthétique se résume dans l’imitation de la nature. Ainsi que les peintres, ils ont leurs albums de croquis ; ils notent sur le vif les figures, les mouvements, les attitudes, un geste, une intonation, tel nom propre qui les a frappés. Ils appliquent leur imagination, non à inventer ce qui n’est pas, mais à se représenter ce qui est. Ils mesurent la valeur de leurs écrits à ce qu’ils y font entrer de documents humains. Historiographes, analystes, collectionneurs de faits et de sensations, tout leur art s’emploie à illustrer des statistiques.

Pendant le règne du romantisme, l’histoire, renouvelée par Chateaubriand, avait été conçue par les Augustin Thierry et les Michelet comme une évocation, par les Guizot et les Mignet comme une structure logique des événements, que l’intelligence maîtrise et règle. Dans la seconde moitié de notre siècle, elle prend le caractère d’une analyse scientifique. L’historien de ce temps n’est ni un poète ni un théoricien, c’est l’érudit patient qui se cantonne dans un tout petit coin du passé, et qui en rapporte, non pas de pittoresques tableaux, non pas de vastes généralisations, mais des faits minutieusement étudiés, contrôlés par une critique sagace et restant désormais acquis. Il se défie de l’imagination, qui déforme les objets, du sentiment, qui trouble la vue, des conclusions à longue portée, qui subordonnent les documents concrets à la doctrine abstraite. Toute édification rationnelle lui est suspecte aussi bien que toute divination. Où les grands historiens qui avaient illustré la première partie du siècle portaient, les uns leurs systèmes préconçus, les autres leurs intuitions passionnées, il porte le désintéressement méthodique de la science. Ses recherches particulières, ses travaux d’histoire locale, ses monographies détaillées et minutieuses, ne peuvent sans doute avoir toute leur valeur qu’en prenant place dans un ensemble ; il ne l’ignore point, il ne perd pas de vue le but suprême des études historiques, qui est une synthèse universelle ; mais, au lieu de tracer dès maintenant un plan téméraire et chimérique, il croit être plus utile en se