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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

restreignant au petit nombre de faits dont il peut acquérir une connaissance directe et complète. Vouée uniquement à l’exploration et à l’analyse des textes, l’histoire borne ses ambitions actuelles à saisir les choses avec certitude et à les retracer avec précision. Elle tend à sortir du domaine propre de la littérature. Elle s’associe au positivisme de notre époque en transportant dans l’ordre des phénomènes moraux la méthode rigoureuse que le naturaliste applique aux phénomènes du monde sensible.

La critique, qui avait été jusqu’à notre siècle un délicat exercice du goût, devient elle-même une science. Elle a renoncé aux jugements de rhétorique. Elle fait de plus en plus partie intégrante de l’histoire, et porte dans l’analyse des ouvrages la même rigueur que l’historien dans celle des événements. Elle est une herborisation des esprits. Elle a pour le beau et le laid le même genre d’indifférence que professe le positivisme pour le bien et le mal : l’un et l’autre sont également naturels, et ce que blâme l’homme de goût peut n’être pas moins significatif que ce qu’il admire. Le vrai critique n’admire ni ne blâme : il accepte les formes multiples que prend l’âme humaine pour se révéler, il n’en condamne aucune et les décrit toutes. Appliquant à l’art comme à la morale un déterminisme implacable, il étend l’empire des lois organiques jusque dans le domaine de la production littéraire. Il réduit les individus à n’être que la résultante de leur race, de leur siècle et de leur milieu. Des documents, voilà ce qu’il cherche dans l’œuvre esthétique. Elle est pour lui « ce que sont pour les savants ces appareils d’une sensibilité extraordinaire au moyen desquels ils démêlent et mesurent les changements les plus intimes et les plus délicats d’un corps ». Il voit dans l’homme « un animal d’espèce supérieure qui produit des philosophies et des poèmes à la façon dont les abeilles font leur miel ».

Dans tous les domaines de l’intelligence, l’esprit positiviste a succédé à l’esprit romantique, et ce qui s’appelle positivisme en philosophie prend en littérature le nom de réalisme ou de naturalisme.