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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

mais c’est dans la légende qu’il se trouve surtout à l’aise. Son génie puissant peut s’y donner pleine carrière : il déroule d’immenses tableaux, il dresse des figures gigantesques ; il évoque les mythes grandioses, il ressuscite l’âme des peuples antiques, il exprime en formidables symboles les lois supérieures de la conscience, il associe enfin aux agitations de l’humanité que le bien et le mal se disputent, il « heurte à l’âme humaine, afin de lui faire rendre son véritable son, les êtres différents de l’homme que nous nommons bêtes, choses, nature morte, et qui remplissent on ne sait quelles fonctions fatales dans l’équilibre vertigineux de la création ». Ce poème, qui s’ouvre sur l’éblouissement de l’Éden et se ferme sur les perspectives fantastiques de l’infini, est l’œuvre la plus grandiose, la plus diverse et la plus riche de Victor Hugo. Il y met au service d’une imagination incomparable une faculté verbale vraiment unique. Pour un nouveau genre, qui mêle le drame et le lyrisme à l’épopée, il se façonne un style nouveau, tenant à la fois de sa langue lyrique et de sa langue dramatique, mais qui, moins tendu que l’une, moins heurté que l’autre, s’approprie admirablement à cette légende des âges par ce qu’il a de simple dans la magnificence et de familier dans la grandeur. Le génie épique de Victor Hugo, qui s’était déjà révélé par Notre-Dame-de-Paris, par les Burgraves, par certains morceaux des Châtiments, atteint ici sa plus haute expression ; il est peut-être la forme caractéristique entre toutes d’une maîtrise universelle.

La gloire du poète n’est pas achevée. Après les prodigieux tableaux de la Légende il ajoutera à sa lyre une corde nouvelle pour chanter en sa vieillesse la sensualité légère et facile de l’adolescence. Rentré de l’exil dans Paris assiégé, les désastres de l’année terrible lui inspireront des strophes vengeresses où vibre l’indignation, où frémit le patriotisme, où s’exalte une invincible foi aux destinées de la France, dont le culte se confond dans son cœur avec celui de la Justice et de la Fraternité. Cet infatigable génie se multipliera jusqu’au bord de la tombe ; et combien de poèmes