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LA POÉSIE.

sa pensée acquiert plus d’étendue et sa sensibilité plus de profondeur. Ces deux livres de vers méritent leur nom ; ils sont d’un lyrisme plus contemplatif que les Feuilles d’automne ou les Voix intérieures. Le progrès de l’âge, les amertumes de l’exil, la perte d’un être cher, ont achevé de mûrir le génie de Victor Hugo. Une philosophie élevée, généreuse, pacifiante, se dégage de ses rêveries, de ses imaginations poétiques, de ses obscures apocalypses. Ce sont ici les « mémoires d’une âme», d’une âme qui « marche de lueur en lueur en laissant derrière elle la jeunesse, l’amour, l’illusion, le combat, le désespoir » ; mais, s’ils « s’assombrissent nuance à nuance », c’est pour aboutir finalement « à l’azur d’une vie meilleure ». La philosophie du poète est consolante jusque dans le deuil, parce qu’elle a pour inaltérable principe une croyance toujours plus sereine dans le triomphe du bien sur le mal et dans la réconciliation définitive de l’humanité avec la nature et avec Dieu.

Cette croyance domine aussi la Légende des siècles, épopée sincère, vivante, sans banales machines et sans merveilleux factice, sorte de poème « cyclique » qui a pour héros l’homme et pour inspiration la foi dans le progrès infini. La légende de l’humanité, telle qu’il la suit d’âge en âge, se déroule à travers les trahisons, les rapts, les parricides ; mais il oppose Roland aux infants d’Asturie, Eviradnus à Sigismond et Ladislas, le marquis Fabrice à Ratbert. Si les tableaux riants sont rares dans son livre, la conception n’en repose pas moins sur un invincible optimisme. Lui-même le dit, tous les aspects de l’humanité se résument, à ses yeux, en un seul et immense mouvement d’ascension vers la lumière. Ce qu’il veut montrer, c’est « l’homme montant des ténèbres à l’idéal », c’est « l’épanouissement du genre humain de siècle en siècle, la transfiguration paradisiaque de l’enfer terrestre, l’éclosion lente et suprême de la liberté ». Le poème dans son ensemble est « une espèce d’hymne religieux à mille strophes, ayant dans ses entrailles une foi profonde et sur son sommet une haute prière ».

Victor Uugo a au plus haut degré le sens de l’histoire ;