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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

même de l’âme humaine. Organisation puissante, sa force, capable de douceur et de grâce (que de pages d’une exquise délicatesse !), est inhabile aux quintessences du cœur où certains poètes de notre temps ont mis une distinction si curieusement nuancée. On lui reproche d’avoir l’âme grossière : il a l’âme grande, largement ouverte aux plus généreuses inspirations, tout imprégnée d’amour et de pitié, vibrante au moindre souffle comme reluisante au premier rayon ; et, si nous ne trouvons pas chez lui les gracilités mièvres, les tendresses précieuses, les subtils raffinements, c’est qu’il ne faut pas demander à un homme sain d’être aussi sensible qu’un malade.

Avec ce qu’ils appellent les lieux communs du sentiment, nos plus fins critiques lui reprochent ceux de la pensée. Ils exaltent en lui le prodigieux ouvrier de style, le maître souverain du verbe ; mais ils trouvent que sa forme merveilleuse recouvre peu de substance, ils prétendent que ce dieu de l’image et du rythme est un bien médiocre penseur. Reconnaissons ce qu’il y a d’ingénu dans ses grandioses antithèses, de rudimentaire dans sa conception des choses, d’incomplet, de tranché à l’excès, parfois de radicalement faux dans ses vues sur l’histoire, ce qu’il y a soit de par trop simple dans ses formules, soit de contradictoire entre les diverses philosophies dont il s’est fait tour à tour le magnifique interprète. Victor Hugo n’est pas un philosophe. Il saisit par son imagination les grands systèmes pour les transformer en mythes poétiques. Ne sourions pas en l’entendant s’appeler un mage : c’est bien là son nom.

Est-ce à dire qu’il y ait moins de substance en sa poésie qu’en celle d’aucun autre des grands poètes contemporains ? Nous ne le croyons point. Il ne faut pas que les miracles de la langue et de la versification nous fassent méconnaître tout ce qu’il entre en son œuvre de grave pensée aussi bien que de profond sentiment. Et si, suivant l’expression d’un de ses plus illustres disciples, toute poésie digne de ce nom contient une philosophie, il est facile de retrouver, à travers d’obscurs symboles et de flagrantes contradictions,