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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

c’est cette vie tranquille et douce qu’il pouvait humblement passer au sein de sa cité, de sa famille et de ses amis. Le plus obscur état eût suffi à son ambition ; il l’aurait aimé, il l’aurait honoré peut-être, et, après avoir vécu en bon chrétien, en bon père, en bon ouvrier, en bon homme dans toute chose, il serait mort paisiblement entre les bras des siens.

En dépit de ses faiblesses, de ses fautes, de ses souillures même, Rousseau fut, au xviiie siècle, l’interprète éloquent, convaincu, enthousiaste, du sentiment moral et du sentiment religieux. Au milieu de cette société usée par le plaisir, desséchée par une critique abusive, pervertie par un catholicisme artificiel et mondain, sa voix grave et passionnée prêcha le respect et le culte de toutes les vertus que le siècle livrait à la dérision. De lui date la renaissance spiritualiste. Les philosophes qui donnaient le ton se targuaient d’être athées. Rousseau ne craignit pas de s’exposer à leurs sarcasmes. Un jour, chez Mlle Quinault, indigné des négations hautaines qu’il venait d’entendre : « Moi, messieurs, dit-il, je crois en Dieu, et je sors si vous dites un mot de plus. » Sans doute. Voltaire professait le déisme, mais un déisme purement intellectuel. Il s’associait d’ailleurs aux athées pour bafouer ce qu’il y a de plus pur et de plus profondément humain dans le christianisme. Rousseau met tout son cœur dans la Profession de foi du vicaire savoyard ; non seulement il ressaisit par le sentiment et réchauffe de son éloquence ardente les grandes vérités de la religion naturelle, mais encore, loin de railler le Christ et l’Évangile, il leur rend à tous deux un éclatant hommage qui met l’un au-dessus de tous les hommes comme l’autre au-dessus de tous les livres. S’il n’accepte pas la révélation, ses sympathies naturelles l’inclinent vers le christianisme, même lorsqu’il rompt ouvertement avec les dogmes chrétiens. À travers les vaines formules et les grossières superfétations, il reconnaît « cette religion pure, sainte, éternelle comme son auteur, que les hommes ont souillée en feignant de vouloir la purifier ». Il n’y a pas si loin de son christianisme senti-