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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

lent et de terne, une régularité patiente et robuste, mais sans délicatesse, sans agrément, sans invention de détail, sans autre mouvement que celai des larges ensembles. Aucune souplesse, aucune vivacité de physionomie ; une litanie de phrases massives, que nul accident ne varie, que nul pittoresque n’égaye. Ce style tient du récitatif. Autant l’allure des Goncourt est nerveuse, sautillante, dégingandée, autant celle de Zola est égale, uniforme, imperturbable. Autant les Goncourt se complaisent aux raffinements et aux préciosités, autant Zola, surtout dans ses derniers romans, dans sa pleine manière, fait fi de ce qu’il appelle le ragoût. Il n’a pas craint à l’occasion de déclarer que, pour réagir contre la pernicieuse influence du romantisme, notre littérature devait « retourner à la langue si carrée et si nette du xviie siècle ». « On écrit bien, dit-il excellemment, lorsqu’on exprime une idée ou une sensation par le mot juste ; avoir l’impression forte de ce dont on parle et rendre cette impression avec le plus d’intensité possible, c’est l’art d’écrire tout entier. » Il veut maintenir « la grandeur simple de notre génie national », et, quoiqu’il ne se soit pas toujours gardé lui-même de tout contournement, on peut dire que, dans l’ensemble, par un large courant de saine et forte rectitude, son style se rattache à la tradition classique. Mais cette simplicité d’expression qu’il préconise manque trop souvent chez lui d’accent et de trempe, et cette précision des termes qu’il regarde avec raison comme la qualité fondamentale entre toutes lui échappe dans ce qu’elle a de fin et de nuancé. Ce n’est point un grand écrivain que Zola : il s’est servi de la langue sans la marquer à son empreinte. Ce n’est pas même toujours un bon écrivain, c’est-à-dire un écrivain exact ou même correct. Il écrit non seulement sans curiosité, mais encore sans tact, quelquefois sans justesse. Et tout cela n’empêche pas que ce style grossier, épais, pesant, fasse à la longue une impression de puissance monotone et de brutale grandeur en intime harmonie avec l’empire de cette fatalité inexorable et sourde qui surplombe l’épopée des Rougon-Macquart.