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LE ROMAN.

réussir dans la peinture des êtres simples et grossiers, chez qui le sentiment ne se distingue guère de la sensation ; mais, dès que son analyse s’applique à des âmes moins rudimentaires, il est incapable d’en pénétrer la vie intime, et sa physiologie brutale étouffe toute psychologie. Ses héros préférés sont ceux dans lesquels la maladie nerveuse a ruiné jusqu’aux velléités de résistance. Avec de tels personnages le psychologue n’a plus grand’chose à faire. Quelle matière pourraient lui offrir des êtres « souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang » ? En donnant pour point de départ à toute son œuvre une névrose, Zola en indique d’emblée la signification. Il supprime par la même, autant qu’il est en son pouvoir, les forces libres de l’intelligence et de la volonté qui pourraient faire échec aux influences fatales du tempérament. Il s’annonçait dès le début pour ce qu’il devait être, non pas un peintre de l’homme, mais le peintre par excellence de ce que lui-même appelle la bête humaine.

Ce matérialisme ne laisse pas d’avoir sa grandeur. Zola transfère l’idéal de l’esprit à la matière en douant celle-ci de je ne sais quelle existence occulte. Il y a dans son fatalisme une sombre et formidable poésie. Les Rougon-Macquart nous font éprouver l’oppression de la Destinée. La fatalité qui y règne est purement animale ; mais ce qu’elle a d’inéluctable et de mystérieux, Zola l’exprime puissamment, il l’exprime avec une monotonie imposante, avec une intense lourdeur, avec une impersonnalité terrible. C’est par là surtout que son œuvre est un poème, non pas un drame, puisqu’il conçoit l’homme comme une créature passive, serve de son tempérament, incapable de réagir contre la domination des choses, mais plutôt une épopée, une épopée grandiose et morne, inspirée d’un bout à l’autre par le sentiment de ces forces aveugles qui courbent la vie humaine sous leur accablant despotisme.

La forme, chez Zola, répond bien à cette inspiration. Elle n’a rien de personnel ; ou plutôt, ce qui la caractérise, c’est une plénitude uniforme, quelque chose de copieux, de