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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

montable répugnance pour les choses grossières, et certaines odeurs lui donneraient des nausées. Le premier écrit dans une langue dense, compacte, puissante par sa lourdeur même : le second est le plus léger, le plus souple, le plus chatoyant des écrivains, toujours en mouvement, insaisissable dans sa variété, si vif, si rapide, si imprévu, qu’il semble parler son style. En somme, pour faire de Daudet une étude à peu près complète, il suffirait de reprendre successivement les points que nous venons de toucher en l’opposant à Zola.

Alphonse Daudet travaille dans une sorte de fièvre. Avant même de commencer à écrire ses livres, il les a déjà racontés, mimés et, pour ainsi dire, « vécus ». Cette habitude répond à un besoin de sa nature, et il en fait aussi un procédé d’élaboration. Le brouillon originel n’est encore pour lui qu’un canevas d’improvisateur. Avec la seconde version commencera ce qu’il appelle la partie douloureuse du travail ; mais dans la première il s’abandonne à sa verve, il lâche la bride à ses instincts de trouvère : le sujet le presse, le déborde ; sa main court fébrilement sur le papier sans écrire tous les mots, sans ponctuer, s’évertuant à suivre le travail de son cerveau en feu, sténographiant à la hâte les idées et les sentiments. Il a attendu pour se mettre à l’œuvre que les personnages vécussent en lui : c’est alors seulement qu’il prend la plume et avec ce « frémissement du bout des doigts » qui est chez lui le signe de l’inspiration. Il se lance du premier coup en plein courant des faits. Comme les figures sont déjà « debout dans son esprit », il les montre tout de suite en pleine activité. La plupart de ses romans ne sont qu’une série de tableaux ou d’épisodes qui défilent sous nos yeux. Et point de préparations au début ou d’un chapitre à l’autre : il explique par un mot, il laisse deviner au lecteur la portion des événements qui ne s’accommoderait pas d’une mise en scène tout actuelle : il ne rend que ce qui fait palpiter son cœur ou vibrer ses nerfs, ce que les choses humaines ont de dramatique ; de pittoresque, en un mot de vivant.