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LE ROMAN.

Ses livres ne dérivent pas d’une conception abstraite ; ils ont pour point de départ, non point quelque vue antérieure à l’observation, et qui régirait d’avance les événements et les personnages, mais une impression personnelle et immédiate des choses vives. Lui-même nous indique de quelle façon le roman s’élabore tout seul en son esprit. Depuis son entrée dans le monde il « collectionne une multitude de petits cahiers sur lesquels les remarques, les pensées, n’ont parfois qu’une ligne serrée, de quoi se rappeler un geste, une intonation, développée, agrandie plus tard pour l’harmonie de l’œuvre importante ». Les yeux grands ouverts, l’oreille aux écoutes et, comme le dit Edmond de Goncourt, « tous les sens pareils aux tentacules d’un poulpe », il guette, il aspire la réalité. Et, chaque jour, il la couche par écrit toute fraîche encore. À Paris, en voyage, à la campagne, ses carnets se noircissent. Il ne pense même pas « au travail futur qui s’amasse là ». Quand certaine figure a particulièrement frappé son attention, cette figure, autour de laquelle les notes se pressent et s’accumulent, évoque d’elle-même, l’idée d’un livre où elle jouera le principal rôle. Les personnages préexistent à l’œuvre du romancier, et celui-ci, d’ailleurs, ne fait guère que raconter leur histoire véritable. Les événements et le milieu, chez lui, sont aussi strictement exacts que les types ; milieu, types ou événements, il a tout « copié » d’après nature. « D’après nature ! dit-il. Je n’eus jamais d’autre méthode de travail. » Écrire « dans l’atmosphère même de son sujet », voilà pour lui l’idéal. Un de ses meilleurs souvenirs, c’est celui du temps où il faisait Fromont jeune et Risler aîné dans un vieil hôtel du Marais : son cabinet donnait sur un jardin, et, au delà, « c’était la vie ouvrière du faubourg, la fumée droite des usines, le roulement des camions… Tout le quartier, dit-il, travaillait pour moi ». Daudet rattache à l’action de ses romans des épisodes qui, dans la réalité, n’en faisaient pas partie, il réunit dans le même cadre des personnages qu’il a observés en des milieux différents, mais il invente le moins possible, il n’in-