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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Si Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre annoncent déjà ce spiritualisme chrétien dont le dernier vécut assez longtemps pour voir l’éclatante renaissance à l’appel d’un génie plus puissant et plus hardi que le sien, Diderot peut passer pour le chef de l’école naturaliste, et le trait qui caractérise le mieux cet esprit fumeux, inquiet, débordant d’une activité incohérente et brouillonne, réunissant en lui tous les contrastes et toutes les contradictions, c’est peut-être le sens de la réalité, du monde visible et tangible, de la nature extérieure dans l’effervescence de ses phénomènes sans fin et dans la fermentation de sa vie multiple et effrénée. Notre siècle, si l’on se contente d’une vue d’ensemble, se divise en deux parties qui sont d’étendue à peu près égale. La première a pour initiateur Rousseau, auquel on peut rattacher le romantisme presque tout entier, Mme de Staël et Chateaubriand, Lamartine, George Sand, les héros du roman et ceux du théâtre, l’idéalisme plaintif, l’exaltation morale, le mal de la rêverie. Parmi les écrivains de l’âge précédent, c’est en Diderot que la seconde a reconnu son précurseur ; oublié ou méprisé depuis un demi-siècle, il fut reconnu comme leur plus lointain chef de file par les générations qui, il y a quarante ou cinquante ans, inaugurèrent contre le romantisme une inévitable réaction. De lui procédaient déjà, par une filiation plus ou moins directe, les Stendhal et les Balzac de la première période ; de lui dérivent encore, dans la seconde, tous ceux qui ont dirigé le mouvement universel de notre littérature contemporaine vers l’observation exacte et la sincère « notation » des réalités « ambiantes. »

Diderot est un esprit scientifique, particulièrement tourné vers les sciences expérimentales. Mathématicien, mais surtout naturaliste, son maître est, non pas le géomètre Descartes, mais le physicien Bacon, auquel il a rendu plus d’une fois d’éclatants hommages. Sa philosophie s’accorde sur bien des points avec celle que voit triompher la seconde moitié de notre siècle. En morale, ce prédicateur enthousiaste ne voit dans le vice et la vertu que les produits d’une activité irresponsable et fatale. En métaphysique, il est un