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LES PRÉCURSEURS DU XIXe SIÈCLE.

simple négateur ; mais chez l’athée et le matérialiste il y a, par une contradiction que l’esprit de notre temps a parfois reproduite, un coin de mysticisme plus ou moins inconscient. Enfin, dans la critique, qu’il s’agisse d’art ou de lettres, ce qui domine en lui, c’est encore le goût du réel, le sens de la vie dans toutes ses formes, par suite l’absence de tout système étroit et exclusif, la libéralité de l’esprit, une tolérance accueillante, une vivacité de sympathie qui, sans s’offusquer des défauts, va tout droit aux beautés.

Nous retrouvons les mêmes idées dans la réforme théâtrale que Diderot entreprit : elle lui fut suggérée par sa prédilection pour la vérité réelle et vivante, à laquelle les conventions de notre scène lui semblaient répugner. Dès le début de sa carrière, il fait, dans un roman, le procès de la tragédie classique, qu’il accuse d’altérer et de fausser la nature. Bien des années après, il ajoute à cette critique, déjà complète et approfondie, soit ses vues particulières sur l’art du théâtre, soit des pièces qu’il a composées d’après sa nouvelle formule. Ces pièces sont depuis longtemps oubliées. Diderot avait « l’inverse du talent dramatique » ; il transformait tous ses personnages en lui-même. À ce défaut capital joignons les effusions d’une sensibilité déclamatoire, les vertueuses tirades, la fureur de moraliser à tort et à travers, toute cette rhétorique larmoyante qui appartient à la personne même de l’auteur et non pas à ses théories. Sedaine prouvera que le drame bourgeois peut être naturel sans platitude, émouvant sans niaiserie sentimentale, moral sans pédantisme. Des drames de Diderot distinguons son esthétique théâtrale, et cherchons en quoi consiste ce retour à la vérité et à la nature dont il donna le signal.

La comédie et la tragédie sont deux termes extrêmes. Dans notre existence, ni la douleur ni la joie ne tiennent la place que nos poètes dramatiques leur donnent sur le théâtre ; ce sont des accidents passagers, non des états durables. Entre les deux genres, dont l’un se propose de nous faire pleurer et l’autre de nous faire rire, il faut créer un genre intermédiaire. La tragi-comédie a vainement