Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
355
LE ROMAN.

il livre d’avance aux journaux les premiers chapitres d’un roman, dès qu’ils sont achevés. Mais, s’il revient sur son travail avec un soin méticuleux, ce n’est que pour corriger les défauts de l’improvisation, tout en gardant ce qu’elle avait de franchise hardie et de verve passionnée. Son style vivant et actif copie à mesure l’idée ou le sentiment, montre les choses au lieu de les décrire, supprime l’importun bagage des mots qui gêneraient son allure, se rythme sur le mouvement même des impressions successives ; multiplie les ellipses, les inversions, les alliances de mots imprévues, demande à tous les vocabulaires leurs termes les plus significatifs, subordonne enfin la forme de notre langue au besoin de rendre les sensations avec toute leur vivacité native. Par sa manière d’écrire si libre et si accidentée, Daudet rappelle les Goncourt. Mais il est moins contourné, moins tourmenté ; il a plus d’équilibre, il se fait plus de scrupules ; il ne se complaît pas à des singularités de diction gratuites, il n’affecte pas les néologismes baroques, il ne recherche pas de parti pris les tours les plus éloignés de l’usage ordinaire. Son style est admirablement souple sans désarticulation, mobile sans inquiétude, nuancé sans bigarrures, expressif sans grimaces. Jusque dans ses hardiesses, jusque dans ses irrévérences, il concilie la « modernité » et la « nervosité » avec le sens de la mesure, de la convenance et de l’harmonie. Chez cet « impressionniste » il y a bien quelque chose d’un classique.