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CONCLUSION.

prend toutes, bref, dans la supériorité de leur « intelligence » et de leurs « nerfs ». Mais, cette supériorité, quelle valeur a-t-elle pour la production littéraire ? À ce qu’on appelait il y a cinquante ans le mal du siècle en a succédé de nos jours un autre, qui s’attaque aux sources mêmes de la vie. L’un était le mal d’âmes exaltées, véhémentes, en révolte contre une destinée trop étroite pour leur rêve héroïque et grandiose ; l’autre est celui de natures très fines et très complexes, voluptueuses sans passion, merveilleusement aptes à la jouissance intellectuelle, mais chez lesquelles la virtuosité risque de dissoudre, avec toute énergie active, tout principe de foi et tout pouvoir d’amour.

Cependant une sorte de mysticité vague semble se mêler à leur « dilettantisme ». Il n’y a pas là de contradiction. Cette mysticité trahit aussi bien l’impuissance de croire que le désir de se prendre à quelque croyance. Elle n’est point l’éveil d’une foi jeune et robuste ; elle a sa cause, soit dans la lassitude d’esprits qu’a surmenés tout le travail intellectuel du siècle, soit dans une faiblesse d’âme qui tourne d’elle-même à je ne sais quelle religiosité attendrie. Il y entre, d’ailleurs, une part de « dandysme », et, peut-être, quelque secrète complaisance à se sentir capable non seulement de comprendre, mais encore de produire en soi-même un état moral si contraire aux tendances de notre âge.

Le réalisme laisse les décadents se délecter dans les raffinements d’une curiosité stérile, les néo-mystiques bercer leur sensualité énervée et dolente avec les versets de l’Imitation. Ni les afféteries des uns ne corrompent sa franchise, ni les vapeurs des autres ne troublent son équilibre. Il est trop robuste pour se complaire dans des rêveries maladives, et il a trop le sentiment de sa force pour croire à une décadence.

Un viril et loyal effort vers le vrai, voilà ce qu’est, en somme, le réalisme. Dégageons-le de violences et de brutalités gratuites, et, plutôt que de l’opposer à l’idéalisme, faisons-y rentrer l’idéal dans ce qu’il a de foncièrement