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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

deux sortes de pièces, les pièces qui sont bien faites et les pièces qui sont mal faites » ; la nouvelle école en a inventé une troisième, les pièces qui ne sont pas faites de tout. Et, d’autre part, cette audace dont tirent gloire les prétendus régénérateurs de notre théâtre ne va, le plus souvent, qu’à étaler devant le public le spectacle d’ignominies qui l’écœurent et de crudités qui le révoltent. Ils se vantent ensuite d’avoir reproduit la vérité vraie, la vérité tout entière, comme si c’était reculer les limites de l’art que de le ramener à son enfance, que d’en violer les règles les plus essentielles et les plus élémentaires convenances, comme s’il y avait dans la tentative dont ils mènent si grand bruit autre chose de nouveau que leur gaucherie et leur cynisme.

Cette tentative n’en est pas moins caractéristique. Elle se rattache au goût d’exactitude scrupuleuse qui, dans cette seconde moitié du siècle, a renouvelé l’art, et l’échec des naturalistes, signifie probablement qu’Alexandre Dumas et Émile Augier avaient déjà fait entrer dans leurs pièces tout ce que peut admettre de vérité un art nécessairement fondé sur la convention.

Le réalisme, qui domine la littérature de ces trente ou quarante dernières années n’a point été compromis par des excès dont on ne saurait sans injustice le rendre responsable. Il demeure notre vraie force contre le courant d’une « décadence » dans laquelle tant d’esprits se complaisent parmi les plus distingués de la jeune génération.

Nous avons une école de « décadents ». Cette école déclare que, si les citoyens d’une décadence sont « malhabiles à l’action privée ou publique », « mauvais reproducteurs des générations futures », « incapables des dévouements de la foi profonde », la cause en est dans leur aptitude à la pensée solitaire, dans l’abondance des sensations délicates et l’exquisité des sentiments rares qui les stérilisent en les raffinant, dans la culture de leur esprit, qui, ayant fait le tour de toutes les idées, aboutit à un scepticisme incapable de se passionner pour aucune justement parce qu’il les com-