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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

une scène spacieuse, qui permette aux personnages plus de liberté dans leurs mouvements et aux faits une complexité ou même une dispersion plus conforme à la nature. Il se plaint des « bienséances cruelles qui rendent les ouvrages décents et petits ». Il répudie les convention de notre théâtre, ici les confidents et les tirades, là les valets et les bons mots. Il veut que certains endroits soient presque entièrement abandonnés aux acteurs : un homme animé de quelque grande passion doit s’exprimer, non par des discours réguliers et suivis, mais par des cris, des mots inarticulés, des voix rompues ; le silence lui-même, avec une pantomime expressive, est à la fois plus naturel et plus émouvant que les plus éloquentes tirades. Point de vers ; la prose seule s’accorde avec le caractère du drame qu’a voulu créer Diderot. Une scène réelle, des habits vrais, une action simple, des personnages moyens, des événements tirés de la vie ordinaire, des dangers dont le spectateur ait tremblé pour lui-même, voilà la tragédie bourgeoise telle qu’il la conçoit.

Nous retrouvons les mêmes préoccupations de la réalité scénique dans un écrivain dont il faut associer le nom à celui de Diderot, Sébastien Mercier, auteur d’un Essai sur l’art dramatique, où il reprend les idées de son devancier pour les accentuer avec plus de force et les compléter par ses propres vues. Le principe d’où part Mercier, c’est que, si « le théâtre est un mensonge, on doit le rapprocher de la plus grande vérité possible ». Ni l’un ni l’autre de nos deux genres classiques ne trouvent grâce devant lui. Les poètes comiques altèrent le cours ordinaire des choses, chargent leurs personnages, excluent les caractères mixtes, dédaignent les couleurs fondues, sacrifient enfin la nature aux plus grossiers effets de rire. Quant à la tragédie, elle n’est « qu’un fantôme revêtu de pourpre et d’or ». Restreinte aux sujets antiques qui n’ont nul intérêt pour le véritable public, elle les gâte d’ailleurs en y introduisant toutes les convenances modernes. Pyrrhus est peint comme un sou-