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LES PRÉCURSEURS DU XIXe SIÈCLE.

mes naissent bons et que la vertu leur est naturelle. Optimiste intrépide et passionné, l’œil toujours étincelant d’enthousiasme ou humide d’émotion, il ne voit même pas le mal autour de lui : comment l’aurait-il représenté sur le théâtre ? Les personnages qu’il met dans ses pièces sont les mêmes qu’il a connus dans le monde ; dans ses pièces comme dans le monde, il leur a prêté à tous, sans s’en être aperçu, ses propres qualités, et celles qu’il a et celles qu’il croit ou qu’il veut avoir. En donnant une place si prépondérante à ce qu’il appelle « l’honnête », Diderot ne s’écarte donc pas des conditions de la réalité, telle du moins qu’il la conçoit. Si la nature humaine est bonne, on en présenterait une fausse image en peignant le vice, qui est l’exception, au lieu de la vertu, qui est la règle.

Cette vie réelle que la comédie sérieuse et la tragédie bourgeoise portent sur la scène, il faut la rendre, non par l’étude des caractères, qui sont d’ailleurs épuisés, mais par celle des conditions, que n’a pas encore abordée le théâtre. Dans les pièces de caractère, on force toujours le personnage dominant, on lui sacrifie tout ce qui l’environne. On le tourne, on l’exerce, on le fatigue en tout sens, comme un cheval au manège : nous voyons la bête sauter et caracoler, mais nous ne savons rien de son allure naturelle. On nous présente au théâtre, non de vrais individus, mais des types idéaux, dans lesquels nous ne saurions nous retrouver. Qu’on substitue les divers « états » aux caractères : les personnages ne seront plus tentés de tourner à l’abstraction ; ils auront toujours pied dans la réalité du milieu commun, à laquelle les exigences mêmes de leur condition ne peuvent manquer de les ramener.

Justes ou fausses, les réformes que Diderot préconise ou qu’il pratique lui-même ont toutes pour objet de représenter la vie avec plus d’exactitude. À ces coups de théâtre, si souvent invraisemblables, qui changent brusquement l’état des acteurs, il préfère des tableaux, c’est-à-dire une disposition si naturelle et si vraie que, rendue fidèlement par un peintre, elle nous plairait sur la toile. Il demande