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MADAME DE STAËL ET CHATEAUBRIAND.

communion intime de l’homme avec Dieu. De ce spiritualisme qui fait le fond même de sa nature, elle penchera de plus en plus vers le christianisme, sinon pour en adopter les dogmes, au moins pour en revêtir l’esprit ; mais — c’est ce qui la distingue de Chateaubriand — si elle peut devenir chrétienne, elle ne sera jamais catholique.

Bien jeune encore, Mme de Staël fut témoin de la Révolution. Elle salua avec enthousiasme les revendications légitimes et les pacifiques conquêtes ; plus tard, elle se garda d’imputer aux principes les crimes des hommes. Le lendemain même de la Terreur, elle publie son livre de la Littérature. Et que veut-elle y prouver ? Laissons-la parler elle-même : « Que la raison et la philosophie acquièrent toujours de nouvelles forces à travers les malheurs sans nombre de l’espèce humaine. » Les plus violents excès de la période révolutionnaire ne refroidissent même pas chez elle cette foi dans le progrès qui demeure le plus puissant ressort de son activité intellectuelle et morale. Les démentis apparents de l’histoire contemporaine se heurtent contre ses convictions sans les ébranler.

Elle fut révoltée par les crimes, mais attendrie par les misères et les douleurs. La sympathie native de son âme s’apitoya. De là, cette mélancolie, non inerte, mais active, non égoïste et morbide, mais généreuse et saine, dont elle vante déjà la robuste fécondité, ce goût de tristesse grave que va développer en elle une initiation plus intime à « l’esprit du Nord ». En même temps, son intelligence avide s’élançait par delà la Révolution, cherchant à entrevoir les perspectives nouvelles qu’une aussi profonde crise ouvrait à l’esprit, pour s’y engager la première et y guider ses contemporains. Avec le don des intuitions vives et impétueuses qui éclairent d’un trait tout l’horizon, elle a une faculté de s’approprier aux divers milieux intellectuels, un empressement à tout sentir, une aptitude à tout comprendre, qui la prédestinaient à être la grande inauguratrice de l’ère nouvelle. La voilà qui répudie ses origines toutes mondaines et classiques pour fraterniser avec la démocratie naissante.