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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

Son goût, naturellement libéral et hospitalier, s’élargit de plus en plus. Elle sent que l’esprit républicain permettra de « transporter dans la littérature des beautés plus énergiques, un tableau plus philosophique et plus déchirant des événements de la vie ». L’introduction d’une nouvelle classe dans le gouvernement de la France peut, au premier coup d’œil, simuler la barbarie ; mais cette barbarie féconde porte dans ses flancs une autre forme de société, et à cette société nouvelle doit répondre une nouvelle esthétique, plus libre, plus variée, qui permettra de « reculer les bornes de l’art ». La tragédie de Racine, quelque admiration qu’elle mérite, ne peut survivre au régime social qui l’a vue fleurir : c’est là ce que Mme de Staël a compris, ce qu’elle explique à son temps, et, loin de se répandre en stériles regrets sur un passé qui ne saurait renaître, elle travaille avec confiance à un avenir dont elle a deviné le sens.

Sa naissance, son éducation, son milieu, les vicissitudes de son existence, défendirent de tout temps Mme de Staël contre les préjugés et les dédains du purisme. Il faut rapporter à ces influences diverses l’« européanisme » intellectuel qui est un des traits caractéristiques de son esprit et de l’action qu’elle exerça sur notre littérature. Appartenant par sa famille à une cité toute cosmopolite, sa religion ne la dépaysait pas moins que ses origines : elle avait été élevée par une mère strictement calviniste dans un pays où le catholicisme marquait toute chose de son empreinte, aussi bien les doctrines littéraires que les institutions politiques et sociales. La plus grande portion de sa vie, à partir de la Révolution, s’écoula à l’étranger. Elle passa en Suède, en Russie, en Angleterre ; elle demeura en Italie ; elle fit en Allemagne un séjour de longue durée. Quand elle rentrait en France, un ministre de l’empereur lui déclarait que « l’air du pays ne lui convenait pas ». Elle eut pour amis des Genevois comme Sismondi et Benjamin Constant, des Bernois comme Bonstetten, des Allemands comme Schlegel, dont elle fit même le précepteur de ses