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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

qui s’accordaient tous à reconnaître sa souveraineté littéraire. Il n’est pas jusqu’à Stendhal, le précoce avant-coureur d’une école hostile, le sec et frondeur sceptique, qui ne lui ait rendu des hommages dont l’irrévérence apparente ne diminue point le prix. « J’ai besoin d’imagination, écrivait-il à un ami ; envoie-moi les Martyrs. » En parlant des Mémoires d’outre-tombe, et sous l’impression même de la lecture, George Sand disait : « Certaines pages sont du plus grand écrivain de ce siècle, et aucun de nous, freluquets formés à son école, ne pourrions jamais les écrire. »

À partir des Mémoires avait cependant commencé pour cette immense renommée un déclin aussi rapide qu’injuste. Les défauts de caractère qu’ils révélaient et que de brillantes qualités avaient jusque-là recouverts aux yeux des contemporains, déterminèrent dans le public un retour violent. Il ne se pardonna pas d’avoir cru à un Chateaubriand plus grand que nature, il fit payer au poète les faiblesses ou les vanités de l’homme. L’époque où parut l’ouvrage est d’ailleurs celle d’une réaction littéraire qui partage notre siècle en deux moitiés. Chateaubriand avait été l’initiateur du romantisme, et sa mort coïncidait avec l’avènement d’une école nouvelle, éprise de réalité positive comme l’école précédente l’avait été d’idéal et de lyrisme, et que la haine de la déclamation, de l’emphase, des grands mots et des fausses couleurs entraîna jusqu’à ne voir en lui qu’un prodigieux charlatan.

Depuis quelque temps, la faveur semble revenir au patriarche de notre âge. Son nom qui, naguère encore, faisait sourire les habiles, comme celui d’un Marchangy ou d’un Arlincourt, semble retrouver de jour en jour le respect qui lui est dû. C’est pour tous les écrivains contemporains le nom d’un ancêtre. Suivant la parole d’Augustin Thierry, tous ceux qui en divers sens ont marché dans les voies de ce siècle l’ont rencontré à la source de leurs étude, à leur première inspiration, et il n’en est pas un qui ne doive lui dire comme Dante à Virgile :