Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et constitue son originalité distinctive ? Le sens et le goût du mystère. Ne parlons pas de ses symboles. Il en a beaucoup fait sans doute ; et même les pièces dont le Journal d’un poète nous donne l’ébauche en prose ont presque toutes une forme symbolique. Mais rien de commun entre des poèmes comme la Bouteille à la mer[1] par exemple ou la Mort du loup[2] et le symbolisme moderne. Si Vigny doit être regardé comme un précurseur de la jeune école, il le fut par son idéalisme mystique, par sa prédilection naturelle pour le rêve. « Ce qui se rêve, disait-il, est tout pour moi. » On trouve chez lui beaucoup de vers, imprécis à la fois et pénétrants, dont la valeur musicale dépasse leur sens logique. Et ces vers répondent à une conception de la poésie qui annonce déjà nos symbolistes.

Quant à Baudelaire, il fut le théoricien de ce qui s’appelait, voilà quinze ou vingt ans, le décadentisme. Mais, si le poète des Fleurs du mal ne ressemble guère au chantre d’Éloa, sa mysticité, quelque part que l’on y fasse au « satanisme » ou à la charlatanerie, ne lui en inspire pas moins, çà et là, des alexandrins qui ont une singulière force de suggestion. Parnassien, du reste, par la solide carrure de sa forme, ce qui rapproche surtout Baudelaire du symbolisme, c’est qu’il a, comme dit Théophile Gautier, « le don de correspondance ». Citerons-nous les deux premières strophes d’une pièce bien connue qui servit souvent d’épigraphe aux œuvres de la nouvelle école ?

  1. La Bouteille à la mer n’est vraiment qu’une allégorie.
  2. La Mort du loup n’est vraiment qu’une comparaison.