Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire contemporain, 1908.djvu/241

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autre, il y a une Belgique plantureuse et de haute graisse, orgiaque à la fois et mystique, qui est celle de M. Émile Verhaeren. Ce qui nous frappe d’abord chez l’auteur des Campagnes hallucinées et des Débâcles, c’est la fougue du tempérament, c’est une sensibilité violente et débridée. Et nous retrouvons ilans sa poésie le vague et le fantastique où se complaisait Rodenbach ; mais, tandis que Rodenbach efface toute couleur, amortit tout son, estompe tout contour, M. Verhaeren, prêtant aux objets un relief brutal, projette en pleine lumière les formes saugrenues et grimaçantes qu’ils prennent dans son imagination tourmentée. Sa langue même est abrupte, rocailleuse, souvent incorrecte, elle se hérisse de néologismes barbares, elle se crispe en fiévreuses contorsions. Et sa prosodie, libérée le plus souvent de toute contrainte, nous déconcerte par le cahot des mètres et le discord des rythmes. Pourtant les heurts, le forcènement, une truculence surchargée et criarde ne nous empêchent pas d’admirer chez lui la force du pathétique et l’intensité du pittoresque. Ses moyens sont grossiers, mais produisent des effets saisissants. Telles pièces de M. Verhaeren expriment en traits inoubliables les instincts les plus profonds, les plus élémentaires de l’âme du peuple, tantôt déprimé, tantôt révolté par la misère. Avec beaucoup de fatras, beaucoup de galimatias, il allie à sa faculté descriptive et évocatoire un don merveilleux d’invention verbale. On se dit parfois en lisant ses étranges poèmes que tout cela ne vaut peut-être pas deux vers de Racine. Et la puissance de son