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VOLTAIRE PHILOSOPHE

hostiles à l’Église, on les incarcérait, on les exilait, on interdisait ou supprimait leurs livres.

Faut-il donner, par quelques exemples, une idée de ce qu’était le régime de la presse [1]? Bornons-nous à

  1. Boulanger fut persécuté pour des livres d’érudition absolument étrangers aux polémiques contemporaines. En 1749, la Sorbonne dénonça le premier volume de l’Histoire naturelle de Buffon comme admettant plusieurs créations successives. En 1750, à la suite d’un sermon de je ne sais quel Père Aubert, on brûla sur la place publique de Colmar le Dictionnaire de Bayle. Après la publication de l’Émile, Rousseau fut décrété de prise de corps par le Parlement et dut s’exiler. En 1764, on interdit à Thomas d’imprimer son Éloge de Marc-Aurèle, qui avait eu un grand succès, et de le lire à l’Académie. Sept ans après fut renouvelé l’ancien règlement qui ordonnait de ne recevoir au concours académique pour le prix d’éloquence que les discours approuvés par deux docteurs de la Faculté de théologie.
    Recueillons çà et là d’autres exemples dans la Correspondance de Voltaire.
    « Votre héros Fontenelle fut en grand danger pour les Oracles…, et, quand il disait que, s’il avait la main pleine de vérités, il n’en lâcherait aucune, c’était parce qu’il en avait lâché et qu’on lui avait donné sur les doigts. » (Lettre à Helvétius, 15 sept. 1763.) Cf. Dict. phil., Philosophe, XXXI, 398 : « On ne sait pas assez que Fontenelle, en 1713, fut sur le point de perdre ses pensions, sa place et sa liberté, pour avoir rédigé en France, vingt ans auparavant, le Traité des Oracles du savant Van Dale, dont il avait retranché avec précaution tout ce qui pouvait alarmer le fanatisme. » — Helvétius lui-même à qui est écrite la lettre citée plus haut, eut son livre de l’Esprit condamné par le Parlement. « Qui croirait, dit Voltaire à l’article Lettres du Dictionnaire philosophique (XXXI, 9) que, dans le xviiie siècle, un philosophe ait été trainé devant les tribunaux séculiers et traité d’impie par les tribunaux d’arguments pour avoir dit que les hommes ne pourraient exercer les arts s’ils n’avaient pas de mains ? »
    « J’ai vu Fréret, le fils de Crébillon, Diderot, enlevés et mis à la Bastille, presque tous les autres persécutés, l’abbé de Prades traité comme Arius par les Athanasiens, Helvétius opprimé non moins cruellement, Tercier dépouillé de son emploi, Marmontel privé de sa petite fortune, Bret, son approbsteur, destitué et réduit à la misère » (Lettre à Palissot, 16 mars 1761).
    « J’ai à vous parler d’une autre nouvelle qui est assez inté-