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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Aussi bien, pas de salut sans la foi ; telle est la pure doctrine du catholicisme. Les théologiens catholiques appellent péchés — splendida peccata, dit saint Augustin — les plus beaux traits de la vertu païenne. Et donc les Socrate, les Marc-Aurèle, les Épictète, étaient voués à la damnation éternelle. Mais, pendant qu’ils brûlent dans l’enfer, un Ravaillac jouit des félicités célestes ; car il avait la foi, et « c’est par la foi », comme dit saint Paul, qu’il assassina Henri IV, suspect de préparer la guerre contre le pape, représentant de Dieu sur la terre[1].

  1. Cf. Dict. phil., Catéchisme chinois, XXVII, 485 ; Henriade, chant vii :

    Pourrait-il [Dieu] les juger [les païens), tel qu’un injuste maître,
    Sur la loi des chrétiens qu’ils n’avaient pu connaître ?
    Non, Dieu nous a créés, Dieu veut nous sauver tous…
    Et si leur cœur fut juste, ils ont été chrétiens.

    (X, 223.)

    Loi naturelle :

    Les vertus des païens étaient, dit-on, des crimes.
    Rigueur impitoyable, odieuses maximes !
    Gazetier clandestin, dont la plate âcreté
    Damne le genre humain de pleine autorité,
    Tu vois d’un œil ravi les mortels, tes semblables,
    Pétris des mains de Dieu pour le plaisir des diables.
    N’es-tu pas satisfait de condamner au feu
    Nos meilleurs citoyens, Montaigne et Montesquieu ?
    Penses-tu que Socrate et le juste Aristide,
    Solon, qui fut des Grecs et l’exemple et le guide,
    Penses-tu que Trajan, Marc-Aurèle, Titus,
    Noms chéris, noms sacrés, que tu n’as jamais lus,
    Aux fureurs des démons soient livrés en partage
    Par le Dieu bienfaisant dont ils étaient l’image ?

    (XII, 170.)

    Et, dans les Trois Empereurs en Sorbonne [XIV, 225, 226), le morceau qui commence ainsi :

    Ô morts, s’écriait-il, vivez dans les supplices,
    Princes, sages héros, exemples des vieux temps.


    Voltaire y ajoute en note : « Le sieur Riballier… venait de faire condamner en Sorbonne M. Marmontel pour avoir dit que Dieu pourrait bien avoir fait miséricorde à Titus, à Trajan, à Marc-Aurèle. »