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VOLTAIRE PHILOSOPHE

femme même croient en Dieu, et je m’imagine que j’en serai moins volé et moins cocu » (XLV, 134)[1].

Quand Voltaire soutient l’immortalité de l’âme et les sanctions ultérieures, veut-il uniquement se protéger lui-même contre le vol ou la trahison ? Ses adversaires l’ont dit. À les en croire, Voltaire ne voit dans le dogme de Dieu rémunérateur et vengeur qu’une sorte de garantie pour les heureux du monde, un moyen de conservation sociale à leur profit. Répondons que, dans sa pensée, la crainte des peines futures ne doit pas seulement réprimer les petits ; elle doit aussi les défendre contre l’injustice des grands.

Si Voltaire trouve dangereux les procureurs athées, les princes athées lui paraissent bien plus dangereux encore. « Je ne voudrais pas, déclare-t-il, avoir affaire à un prince athée qui trouverait son intérêt à me faire piler dans un mortier ; je suis bien sûr que je serais pilé » (Dict. phil., Athéisme, XXVII, 188). Dans l’Épître des Trois imposteurs, le juste sans défense que menacent les rois appelle sur eux la vengeance céleste :

Rois, si vous m’opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l’innocent que vous faites couler,
Mon vengeur est au ciel : apprenez à trembler.

(XIII, 265[2].)
  1. On se rappelle cette anecdote, que conte Mallet du Pan : « Je l’ai vu un soir, à souper, donner une énergique leçon à d’Alembert et à Condorcet en renvoyant tous ses domestiques et en disant ensuite aux deux académiciens : Maintenant, messieurs, continuez vos propos contre Dieu ; mais, comme je ne veux pas être égorgé et volé cette nuit par mes domestiques, il est bon qu’ils ne vous écoutent pas. » (Mémoires.)
  2. Cf. Dict. phil., Eucharistie, XXIX, 266 ; Hist. de Jenni, XXXIV, 419; etc.