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MORALE

Et lisons la Dissertation sur la Tragédie en tête de Sémiramis : l’idée morale dont Voltaire se fait l’interprète dans cette pièce, c’est que la Divinité châtie la scélératesse des puissants[1]. Otez-leur la croyance en un Dieu vengeur des crimes : « Sylla et Marius se baignent alors avec délices dans le sang de leurs concitoyens ; Auguste, Antoine et Lépide surpassent les fureurs de Sylla ; Néron ordonne de sang-froid le meurtre de sa mère » (Homélie sur l’Athéisme, XLIII, 240). On a dit souvent que Voltaire a voulu « une religion pour le peuple ». Cette religion, qui est le théisme, il ne la veut pas moins, dans

  1. « Les hommes, qui ont tous un fonds de justice dans le cœur, souhaitent naturellement que le ciel s’intéresse à venger l’innocence : on verra avec plaisir en tout temps et en tout pays qu’un Être suprême s’occupe à punir les crimes de ceux que les hommes ne peuvent appeler en jugement… Je suppose que l’auteur d’une tragédie se fût proposé pour but d’avertir les hommes que Dieu punit quelquefois de grands crimes par des voies extraordinaires ; je suppose que sa pièce fût conduite avec un tel art que le spectateur attendît à tout moment l’ombre d’un prince assassiné qui demande vengeance, sans que cette apparition fût une ressource absolument nécessaire à une intrigue embarrassée ; je dis qu’alors ce prodige, bien ménagé, ferait un très grand effet. Tel est à peu près l’artifice de la tragédie de Sémiramis (aux beautés près, dont je n’ai pu l’orner)… Toute la morale de la pièce est renfermée dans ces vers :
     
    Il est donc des forfaits
    Que le courroux des dieux ne pardonne jamais.


    … J’avoue que la catastrophe de Sémiramis n’arrivera pas souvent ; mais ce qui arrive tous les jours se trouve dans les derniers vers de la pièce :

     
    Apprenez tous du moins
    Que les crimes secrets ont les dieux pour témoins.
    (V, 489, 490.)


    — Cf. Hist. de Jenni, XXXIV, 418 ; Homélie sur l’Athéisme, XLIII, 240 sqq. ; Lettre à M. de Villevieille, 26 août 1768.