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MORALE

chapitre, après avoir montré comment toutes les vraisemblances sont contre l’immortalité de l’âme, il s’attache à « prévenir l’esprit de ceux qui croiraient la mortalité de l’âme contraire au bien de la société » et rappelle, sans compter les anciens Juifs, tant de grandes sectes philosophiques qui ont été matérialistes[1]. Dira-t-on, comme lui-même le disait tout à l’heure, que les mauvaises passions de l’homme, si elles ne sont pas réprimées par la croyance à une autre vie, se donneront libre carrière ? Mais il y a d’autres freins. Le prince qui veut tout se permettre doit réunir, avant de déclarer la guerre au genre humain, une armée de cent mille soldats bien affectionnés à son service ; et peut-il s’assurer que cette armée lui suffise ? Quant au simple particulier, il craindra d’être puni soit par les châtiments qu’ont inventés les hommes, soit par la menace de ces châtiments, laquelle est déjà un assez cruel supplice. Et d’ailleurs nous avons en nous un instinct social, que l’éducation développe. Ceux qui ne pourraient être honnêtes sans le secours de la religion seraient des monstres[2].

Si tantôt il affirme et tantôt nie le Dieu rémunérateur et vengeur, Voltaire ne perd jamais de vue l’intérêt social ; et, montrant dans le premier cas que la société a besoin de ce dogme, il montre dans le second qu’elle peut s’en passer.

Croit-il vraiment à Dieu ? Au Dieu qui a fait le monde, c’est hors de doute[3]. Mais croit-il au Dieu qui

  1. XXXVII, 320.
  2. Traité de Métaph., XXXVII, 341 sqq. — Cf. Essai sur les Mœurs, XV, 90 ; Dict. phil., Enfer, XXIX, 120, Locke, XXXI, 48.
  3. Cf. Lettre à d’Argental, 4 août 1775 : « L’auteur de Jenni ne peut pas être soupçonné de penser comme Épicure. Spinoza lui--