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VOLTAIRE PHILOSOPHE

récompense et châtie ? Dans l’Épître sur le livre des Trois imposteurs, sans déclarer formellement que ce Dieu est une invention des hommes, il donnerait presque à l’entendre :

Consulte Zoroastre et Minos et Solon
Et le martyr Socrate et le grand Cicéron ;
Ils ont adoré tous un maître, un juge, un père.
Ce système sublime à l’homme est nécessaire ;
C’est le sacré lien de la société,
Le premier fondement de la sainte équité,
Le frein du scélérat, l’espérance du juste.
Si les cieux, dépouillés de son empreinte auguste,
Pouvaient cesser jamais de le manifester,
Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Que le sage l’annonce et que les rois le craignent.
Rois, si vous m’opprimez, si vos grandeurs dédaignent
Les pleurs de l’innocent que vous faites couler,
Ma vengeance est au ciel : apprenez à trembler.
Tel est au moins le fruit d’une honnête croyance.

(XIII, 265.)

En disant que, si Dieu n’existait pas, — le Dieu rémunérateur et vengeur, — il faudrait l’inventer, Voltaire pourtant semble dire ici même que ce Dieu existe. D’autres passages laissent mieux voir ce qui est peut-être sa pensée intime. Par exemple, le second chapitre de Dieu et les Hommes commence par quelques lignes bien significatives : « Les nations qu’on nomme civilisées parce qu’elles furent méchantes et malheureuses dans des villes au lieu de l’être en plein air ou dans des cavernes, ne trouvèrent point de plus puissant antidote contre les poisons dont les cœurs étaient pour la plupart dévorés que le

    même admet dans la nature une intelligence suprême. Cette intelligence m’a toujours paru démontrée. Les athées qui veulent me mettre de leur parti me semblent aussi ridicules que ceux qui ont voulu faire passer saint Augustin pour un moliniste. »