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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Quant aux cannibales qui tuent et mangent leurs parents, le fait est bien douteux ; à le supposer vrai, ils ne les tuent, allègue Voltaire, que « pour les délivrer des incommodités de la vieillesse ou des fureurs de l’ennemi », et, s’ils leur donnent un tombeau dans le sein filial au lieu de les laisser manger par autrui, « cette coutume, tout effroyable qu’elle est à l’imagination, vient pourtant de la bonté du cœur » (Éléments de la Philosophie de Newton, XXXVIII, 40)[1].

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des peuples anthropophages. Mais que veut-on en inférer ? Comme nous ils font la guerre, et ils tuent leurs ennemis comme nous ; le mal consiste à les tuer, non à les manger ; les manger, ce n’est qu’« une cérémonie de plus ». Et depuis combien de temps nous-mêmes, peuples civilisés, épargnons-nous nos prisonniers de guerre ? Au reste, ces anthropophages n’en ont pas moins, dans leurs rapports entre membres de la même tribu, une morale qui ne diffère pas essentiellement de la nôtre. « J’ai vu, dit Voltaire, quatre sauvages de la Louisiane qu’on amena en France en 1723. Il y avait parmi eux une femme d’une humeur fort douce. Je lui demandai par interprète si elle avait mangé quelquefois de la chair de ses ennemis et si elle y avait pris goût : elle me répondit que oui ; je lui demandai si elle aurait volontiers tué ou fait tuer un de ses compatriotes pour le manger ; elle me répondit en frémissant et avec une horreur visible pour ce crime (Lettre à Frédéric, oct. 1737; LII, 523). Il peut bien exister des peuples anthropophages ; il n’en existe pas

  1. Cf. Dict. phil, Athée, XXVII, 165.