Page:Pellissier - Voltaire philosophe, 1908.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
VOLTAIRE PHILOSOPHE

appelons le bien et le mal n’existe point en dehors de nous. Y a-t-il en dehors de nous quelque chose qui soi le chaud et le froid, le doux ou l’amer, la bonne ou la mauvaise odeur ? On se ferait moquer si l’on prétendait que la chaleur existe par elle-même ; n’est-il pas aussi ridicule de prétendre que le bien moral existe en soi[1] ?

Tous les philosophes du xviiie siècle, sauf Jean-Jacques Rousseau, dérivent la morale de la société. Dans son Esprit des Lois, Montesquieu, après une courte introduction métaphysique, prend pied aussitôt sur la réalité contingente, d’où il ne s’écartera plus. Il ne recherche pas je ne sais quel gouvernement idéal ; il déclare que, dans chaque peuple, le meilleur gouvernement est celui dont la disposition particulière se rapporte le mieux au tempérament de ce peuple, à son état physique, intellectuel et moral. Vauvenargues lui-même, le solitaire et contemplatif Vauvenargues, ne fait pas exception : selon lui, la différence essentielle du bien et du mal, c’est que l’un tend à l’avantage de la société, et l’autre à son détriment[2].

Voltaire s’accorde sur ce point avec Vauvenargues et Montesquieu. Le bien et le mal moral, dit-il, « est en tout pays ce qui est utile ou nuisible à la société ; dans tous les lieux et dans tous les temps, celui qui sacrifie le plus au public est celui qu’on appellera le plus vertueux. Il paraît donc que les bonnes actions ne sont autre chose que les actions dont nous retirons de l’avantage, et les crimes, les actions qui nous sont

  1. Traité de Métaph., XXXVII, 338 sqq.
  2. Introd. à la connaiss. de l’Esprit humain, III, xliii.