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MORALE

sent le genre humain sans intéresser en rien la Divinité. « Si un mouton allait dire à un loup : Tu manques au bien moral, et Dieu te punira, le loup lui répondrait : Je fais mon bien physique, et il y a apparence que Dieu ne se soucie pas trop que je te mange ou non » (Traité de Métaph., XXXVII, 341)[1].

Une pareille assertion ne dément pas seulement le dogme des peines et des récompenses futures, auquel nous avons vu que Voltaire sans doute ne croyait pas ; elle semble démentir aussi que Dieu soit l’auteur de la loi morale. Mais, à vrai dire, Voltaire n’admet point une loi tombée du ciel. Dieu s’est abstenu de nous révéler directement sa volonté. Tous les présents qu’il nous a faits sont l’amour-propre, les besoins, les passions, la bienveillance pour notre espèces, et par-dessus tout, la raison, d’où nous vient la connaissance du bien et du mal. Il ne nous a pas dit : Ceci est mal, ceci est-bien. Il nous a seulement donné les instincts sociaux, Et, vivant en société, nous établissons par là même certaines règles morales. Ces règles n’ont qu’une valeur relative ; ce que nous

  1. Cf. Dict. phil., Bien et Mal : « Point de bien ni de mal pour Dieu ni en physique ni en morale » (XXVII, 348). — De l’Âme : « Néron assassine son précepteur et sa mère ; un autre assassine ses parents et ses voisins ; un grand-prêtre empoisonne, étrangle, égorge vingt seigneurs romains en sortant du lit de sa propre fille. Cela n’est pas plus important pour l’Être universel, âme du monde, que des moutons mangés par des loups et des mouches dévorées par des araignées. Il n’y a point de mal pour le grand Être, il n’y a pour lui que le jeu de la grande machine qui se meut sans cesse par des lois éternelles » (XLVIII, 80). — Traité de Métaphysique : « Nous n’avons d’autres idées de la justice que celles que nous nous sommes formées de toute action utile à la société ; … or, cette idée n’étant qu’une idée de relation d’homme à homme, elle ne peut avoir aucune analogie avec Dieu », etc. (XXXVII, 295).