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VOLTAIRE PHILOSOPHE

À vrai dire, La Bruyère ne condamne que ceux qui préfèrent le faste aux choses utiles, qui « se chauffent à un petit feu » et « s’éclairent avec des bougies », qui dépensent au delà de leurs moyens pour faire figure. Cette vanité, Voltaire, lui aussi, la blâme et la raille. Un laboureur se ferait moquer, s’il mettait, pour conduire la charrue, de beaux habits et de fines chaussures. Mais ne peut-il mettre de bonnes chaussures et des habits commodes ? Et, d’autre part, un riche bourgeois devrait-il paraître au spectacle vêtu comme un paysan ? Qu’on ne vienne pas nous vanter

    qui n’étaient pas accoutumés à porter des chemises blanches le prirent pour un riche efféminé qui corrompait la nature. Gardez-vous du luxe, disait Caton aux Romains. Vous avez subjugué la province du Phase, mais ne mangez jamais de faisans. Vous avez conquis le pays où croît le coton, couchez sur la dure… Manquez de tout après avoir tout pris… Il n’y a pas longtemps qu’un homme de Norvège reprochait le luxe à un Hollandais. Qu’est devenu, disait-il, cet heureux temps où un négociant, partant d’Amsterdam pour les grandes Indes, laissait un quartier de bœuf fumé dans sa cuisine et le retrouvait à son retour ? Où sont vos cuillers de bois et vos fourchettes de fer ? N’est-il pas honteux pour un sage Hollandais de coucher dans un lit de damas ? — Va-t’en à Batavia, lui répondit l’homme d’Amsterdam, gagne comme moi dix tonnes d’or, et vois si l’envie ne te prendra pas d’être bien nourri et bien logé » (Dict. phil., Luxe, XXXI, 109).
    « La Flamma se plaint au xive siècle… que la frugale simplicité a fait place au luxe ; il regrette le temps de Frédéric Barberousse et de Frédéric II, lorsque dans Milan, capitale de la Lombardie, on ne mangeait de la viande que trois fois par semaine. Le vin était rare, la bougie était inconnue et la chandelle un luxe… Les chemises étaient de serge et non de linge ; la dot des bourgeoises les plus considérables était de cent livres tout au plus. Les choses ont bien changé, ajoute-t-il; on porte à présent du linge ; les femmes se couvrent d’étoffes de soie,… elles ont jusqu’à 2 000 livres de dot et ornent même leurs oreilles de pendants d’or. Cependant ce luxe dont il se plaint était encore loin à quelques égards de ce qui est aujourd’hui le nécessaire des peuples riches et industrieux » (Essai sur les Mœurs, XVI, 418).