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VOLTAIRE PHILOSOPHE

son bien, non pour voler le bien d’autrui, la guerre est le premier des arts. Et sans doute il n’en souhaite pas moins que

L’impraticable paix de l’abbé de Saint-Pierre


règne un jour parmi les hommes. Seulement, dès lors qu’elle est encore impraticable, nous devons, tout en nous abstenant d’attaquer les autres peuples, nous tenir prêts à repousser leurs attaques[1].

On a représenté Voltaire comme dénué de tout patriotisme, ou même comme antipatriote[2]. En réalité, il fut aussi patriote qu’on pouvait l’être au xviiie siècle, en un temps où se prépare la rupture entre l’ancienne France, déjà caduque, et la France nouvelle, qui commence de s’ébaucher.

Son patriotisme ne l’empêcha pas sans doute d’analyser l’idée de patrie. Mais veut-on soustraire aucune idée à la critique ?

Premièrement, c’est, dit-il, « une maxime adoptée par tous les publicistes, que tout homme est libre de se choisir une patrie » (Dict. phil., Philosophe, XXXI, 406). Il écrit à Maupertuis, appelé en Prusse par Frédéric : « Si vous aviez à vous plaindre de votre patrie, vous feriez très bien d’en accepter une autre » (21 juill. 1740). Lui-même, après l’affaire La Barre, parle de s’établir dans le pays de Clèves avec quelques philosophes[3].

  1. XIV, 269 sqq.
  2. Brunetière entre autres et M. E. Faguet. — Cf. E. Faguet, la Politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire, p. 6 : « Voltaire n’a aucun patriotisme et n’a aucunement l’idée de patrie. » P. 12 : « Voltaire [est] en général hostile au sentiment patriotique. »
  3. Cf. p. 95 et n. 1.