« Vous voulez prendre le parti de rire, écrit-il à d’Alembert ; il faudrait prendre celui de se venger, ou, du moins, quitter un pays où se commettent tous les jours tant d’horreurs. N’auriez-vous pas déjà lu la Relation ci-jointe[1] ? Je vous prie de l’envoyer à frère Frédéric afin qu’il accorde une protection plus marquée et plus durable à cinq ou six hommes de mérite qui veulent se retirer dans une province méridionale de ses États et y cultiver en paix la raison loin du plus absurde fanatisme qui ait avili le genre humain » (23 juill. 1766). Non seulement Voltaire trouve légitime qu’on change en certains cas de patrie, mais il fait valoir les circonstances atténuantes en faveur du banni qui porte les armes contre ses anciens compatriotes. « On a vu les Suisses au service de la Hollande tirer sur les Suisses au service de la France. C’est encore pis que de se battre contre ceux qui nous ont banni ; car, après tout, il semble moins malhonnête de tirer l’épée pour se venger que de la tirer pour de l’argent » (Dict. phil., Bannissement, XXVII, 279).
En second lieu, une foule de gens n’ont pas de patrie. N’ont de patrie ni le Juif de Coïmbre surveillé par des inquisiteurs prêts à le faire brûler s’il ne mange pas de lard, ni le Guèbre esclave des Turcs et des Persans. Celui-là seul en a une, qui peut dire : « Je possède une maison et un champ ; lorsque les citoyens possesseurs de champs et de maisons s’assemblent pour leurs intérêts communs, j’en délibère avec eux ; je détiens une part de la souveraineté. » Voilà la patrie. « On a une patrie sous un bon roi ; on n’en
- ↑ La Relation du procès La Barre.