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POLITIQUE

Chalotais de « proscrire l’étude chez les laboureurs ». « Moi qui cultive la terre, ajoute-t-il, je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés » (Lettre à La Chalotais, 28 févr. 1763)[1]. Au surplus, après s’être si souvent plaint de la superstition qui abrutit le peuple, qui le rend féroce, il déclare parfois qu’on perdrait sa peine à l’instruire. « On n’a jamais prétendu éclairer les cordonniers et les servantes, écrit-il à d’Alembert ; c’est le partage des apôtres » (2 sept. 1768). Et à Helvétius : « Qu’importe… que notre tailleur et notre sellier soient gouvernés par frère Kroust ou par frère Berthier ? » (15 sept. 1763). Enfin ceux qui le taxent d’aristocrate allèguent encore ces mots d’une lettre à Damilaville (1er avr. 1766) : « Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu. »

Mais quelques-unes des citations précédentes ne paraissent pas aussi catégoriques lorsqu’on les a remises à leur place, ou même elles changent de sens. Par exemple, Voltaire peut bien, dans sa lettre à d’Alembert du 4 février 1757, nier que la canaille soit faite pour la raison : dans la même lettre il regrette que le progrès toujours plus sensible du théisme « ne s’étende pas encore chez le peuple ». Pas encore, dit-il ; c’est dire que le peuple lui-même, avec le temps, finira par ouvrir les yeux. Et, quand il écrit à Damilaville que tout est perdu si la populace se met à raisonner, ce trait, dont ses adver-

  1. Cf. Lettre à Damilaville, 1er avr. 1766 : « Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir comme moi une terre, si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis. »